La visibilité optimale : un défi architectural

Acoustique, réglementations, normes, et traditions historiques : la scénographie d'une salle de spectacle, de concert ou d'opéra doit répondre à une multitude de contraintes, allant au-delà de la seule question de la visibilité.

Acoustique, réglementations, normes, et traditions historiques : la scénographie d’une salle de spectacle, de concert ou d’opéra doit répondre à une multitude de contraintes, allant au-delà de la seule question de la visibilité. Pierre Jaubert de Beaujeu, architecte depuis près de 20 ans chez dUCKS scéno, nous livre ses réflexions sur la thématique de l’optimisation de la visibilité et le réagencement des salles de spectacles, une question qui se pose depuis longtemps et qui revient régulièrement. Au fil de cet échange, découvrons les coulisses de la conception scénographique, les défis et les questionnements qui guident les choix architecturaux pour créer des espaces où l’art et le public se rencontrent de manière harmonieuse.

La visibilité : un critère régulièrement remis en question

« La question de l’optimisation de la visibilité par le réagencement des salles, entre autres, est une question qui se pose depuis longtemps, » explique Pierre Jaubert de Beaujeu. « Nous, mais aussi nos clients, remettons régulièrement en perspective l’aménagement des salles de spectacles.”  Dans leur pratique, celle de l’aménagement d’espaces muséaux et de la scénographie, il est pertinent de requestionner le point de vue du spectateur, dans le but d’offrir la meilleure prestation possible au public. “C’est une question fondamentale et qui se confronte à tout : ce que l’on veut faire, ce qui est déjà fait, ce que l’on a le droit de faire.”

“Chez dUCKS, on travaille avec des outils de mesures adaptés”

C’est dans ce sens que dUCKS scéno a mis en place plusieurs process afin de proposer des projets optimisés sur tous les points, dont celui de la visibilité. D’une part, l’équipe s’engage dans le développement d’un outil innovant permettant d’évaluer le rendu final du projet. Pierre explique : “Cet outil permettra de montrer le résultat de notre scénographie en évaluant ce qui est “bien vu” sur le plateau, en termes de visibilité directe mais aussi d’autres points, comme le facteur relationnel entre les spectateurs par exemple. Le client pourra ainsi plus facilement se projeter grâce à une simulation, un plan de plateau.”

Simultanément, dUCKS a mis en place divers outils internes pour unifier les procédés existants. “Auparavant, nous passions d’un outil à l’autre, du tableur Excel classique aux routines AutoCAD. Désormais, les logiciels que nous utilisons nous permettent de mêler les bases de données et le dessin. Nous avons souhaité développer un outil qui associe justement tableur et dessin et qui soit interactif, plaisant, ludique et surtout pédagogique, afin que les jeunes architectes qui arrivent chez nous puissent le prendre en main facilement. » Cet outil leur permet ainsi d’aller plus vite et d’être plus productif.

Enfin, les équipes engagent régulièrement en interne la réflexion sur la visibilité et plus encore au moment de réfléchir à l’architecture d’une salle, sur son dessin mais aussi sur son dessein. “Comment les gens verront la scène ? Et du point de vue des acteurs, que percevront-ils depuis leur place ?” précise Pierre.

La visibilité oui, mais pas uniquement !

Pierre souligne que « ne prendre seulement le critère de la visibilité en compte est trop sectoriel, on ne peut pas se baser uniquement sur cela pour dessiner une salle. Pour illustrer ses propos, il prend alors l’exemple des salles d’opéra à l’italienne “qui sont tout sauf homogènes en matière de visibilité. Cette homogénéité pose question. Dans ces salles, l’aménagement est parfait pour le chant et cela fonctionne à merveille au niveau sonore. Tout comme lorsque l’on veut agrandir la jauge d’accueil d’une salle, l’image passe alors au second plan.”

Pierre évoque ensuite les normes réglementaires, notamment celles imposées aux salles de cinéma :  » En France pour ouvrir une salle de cinéma, il faut répondre à des critères précis. Globalement et géométriquement, c’est très simple. Le souci de proximité ne se pose pas. Par exemple : si l’écran fait 10 mètres de large, la norme impose que le public soit installé au moins à six mètres. Ce calcul serait tout simplement impossible pour une salle de théâtre, où les spectateurs sont installés généralement à un mètre de la scène, offrant une visibilité différente. Cela pose aussi la question des places latérales.” Les conditions d’accès font bien sûr également partie des éléments à garder en tête, notamment celles des normes PMR (Personne à Mobilité Réduite) qui implique un aménagement des allées qui pourrait, dans certains cas, remettre en question la visibilité.

Autre critère à prendre en considération : le point de vue de l’acteur, et en particulier le sujet de la symétrie des salles qui permettrait, entre autres, aux artistes de mieux se repérer dans l’espace. Mais cette symétrie est une tradition qui n’est pas ancrée et qui peut aussi être remise en question. Pierre suppose alors que cette disposition des salles serait liée à celle du cinéma : “avec l’écran rectangulaire, il est évidemment nécessaire de pouvoir voir tout l’écran depuis son siège, alors qu’au théâtre on ne sait pas si l’acteur va évoluer au centre, sur le côté ou au fond. De même s’il s’agit d’un concert, il n’y a pas de symétrie dans un orchestre. Ainsi ce paradigme de la salle symétrique offrant une vision homogène vole, dans certains cas, en éclats”.

Il ajoute également : “Sur certains projets, il peut aussi nous arriver de décaler les allées pour que les acteurs puissent voir autre chose que ces grandes allées éclairées, telles des pistes d’atterrissage. Cela leur permet de mieux voir le public, d’échanger et de transmettre les émotions plus facilement”.

S’ajoute à cela la question des scènes en pentes, autrefois cruciales pour la visibilité, mais qui sont moins courantes désormais. “Lors d’un spectacle de danse, les spectateurs veulent voir les pieds des danseurs, ce qui implique des salles très pentues » explique-t-il. ”Ce n’est pas le cas des spectateurs d’un concert ou d’une pièce de théâtre, qui eux préfèrent se concentrer sur leurs instruments, pour les musiciens, ou leurs visages, pour les acteurs”.

Enfin, il ne faut pas oublier les traditions. “Les théâtres sont souvent un peu institutionnalisés. Ce qui existe est fonctionnel et on le fait perdurer sans trop se poser de questions. Ce sont des salles qui sont souvent assez peu confortables mais qui ont une authenticité historique, un prestige… Confortables ou pas, le public s’en contente au nom de la tradition.”

En conclusion, la question de la visibilité dans les salles de spectacles est une préoccupation qui nécessite une réflexion constante, mais qui doit aussi s’ouvrir et s’associer à d’autres critères. Ainsi, pour les acteurs de la scénographie et de la muséographie, dont dUCKS scéno, le questionnement autour de ces critères est permanent. Leurs initiatives partent ainsi à la recherche constante d’une harmonie entre l’art, l’architecture et le confort des utilisateurs, qu’ils soient spectateurs ou professionnels.