Les besoins et les préconisations scénographiques liés à la danse
Dans le monde de la danse, tout comme dans tout autre domaine artistique, les impératifs scénographiques jouent un rôle crucial dans l’aménagement d’une salle. Baptiste Karoubi et Reda Boulaarab, chefs de projet chez dUCKS scéno et passionnés de danse, nous partagent leur expertise et nous donnent un aperçu des enjeux artistiques et architecturaux qui façonnent les performances de danse d’aujourd’hui.
Baptiste Karoubi et Reda Boulaarab, chefs de projet chez dUCKS scéno, ont tous deux un lien fort avec l’univers de la danse. Baptiste débute : “Après avoir obtenu mon master, je suis arrivé chez dUCKS scéno en 2018. En parallèle, j’ai co-créé une compagnie de danse. J’ai donc une expérience de tournée dans les salles de danse. Aujourd’hui, je suis chargé de projets musées et espaces d’exposition, mais j’ai aussi un rôle dans tous les projets associés à la danse. Mon parcours est construit entre la danse et l’architecture.” De son côté, Reda a obtenu son diplôme d’ingénieur en génie civil et urbanisme en 2014, il entame alors sa carrière dans un bureau d’études fluides avant de faire une année de césure pour suivre une école de danse à Berlin : “j’ai commencé la danse à 20 ans, et je faisais aussi du théâtre. Je suis chez dUCKS scéno depuis 2 ans en tant que chargé de projet machinerie et serrurerie scénique, le pôle d’ingénierie qui s’occupe de la conception structurelle des salles : passerelles, plateformes mobiles, système d’accroches, etc.” Évidemment, la danse occupe toujours une grande partie de son temps “je pratique toujours chaque semaine, dans un collectif amateur avec lequel nous montons des projets. »
La conversation démarre alors sur les danses actuelles et comment elles se distinguent des styles traditionnels. Selon Baptiste, les danses d’aujourd’hui sont multiples et de plus en plus variées, avec de moins en moins de frontières entre les univers. “On revient vers des danses plus théâtrales, maximalistes mêmes avec plus de décors, plus de danseurs. Il y a encore 5 ans, les projets se voulaient plutôt minimalistes, ce n’est plus le cas aujourd’hui.”. À cela, Reda ajoute : “À l’époque, il y avait le classique, le jazz, le contemporain. Aujourd’hui, il existe une multitude de danses urbaines comme le voguing, le waacking, le hip-hop… Tout cela se mélange, bien que le classique reste présent et influence tout le reste !”
La danse : un art aux multiples enjeux scénographiques
Les performances de danse, comme toute autre pratique artistique, ont des besoins spécifiques en matière de scénographie. Tous deux mentionnent la visibilité : les spectateurs doivent pouvoir observer la performance sur la totalité de la scène, en l’air comme au sol. “Il faut que le public puisse tout voir, quelle que soit la place qu’il occupe dans la salle” insiste Baptiste.
Également, une salle doit offrir des possibilités d’accrochages variés et des supports multiples pour tout ce qui touche aux éclairages.
L’un des autres enjeux d’une salle est celui d’offrir un sentiment d’inclusion du spectateur malgré les pentes et angles forts. Il est important que le spectateur n’ait pas le sentiment d’être en dehors du volume de la scène. Il est également nécessaire d’avoir un plateau généreux et des backstages afin de pouvoir passer de côté cour à côté jardin facilement, ainsi qu’une cage de scène modulable, pour permettre de jouer dans le volume architectural. Reda conclut en ajoutant : “le plancher de danse est très important. Il est évident qu’un lieu de danse doit avoir un plancher de danse. ”Enfin, tous deux s’accordent à dire qu’il y a un gros travail à faire concernant les salles de répétition : “Il faut que les danseurs puissent travailler et répéter dans de bonnes conditions, avec un éclairage correct ! C’est très rarement le cas aujourd’hui”.
“Il y a autant de salles idéales que de spectacles vivants”
Néanmoins, d’après Baptiste “la scénographie ne peut pas régler tous les problèmes”. Il admet qu’il y a autant de salles idéales que de spectacles vivants. Le travail des architectes et scénographes est alors de permettre une agilité des salles, pour les adapter aux créateurs de projets, sans devenir des outils trop complexes.
Le défi en termes d’architecture est alors de mettre en place un processus collaboratif entre les utilisateurs des salles (directeurs techniques par exemple) mais sans faire de sur-mesure, d’après Baptiste : “Les utilisateurs ont chacun leurs habitudes, leurs envies… Si on fait une salle sur mesure, on a 100% de chances qu’il faille tout changer au moment où l’équipe évolue. On fait au mieux pour contenter nos clients, tout en se mettant à la place de la future équipe. Ils sont intégrés au processus de recherche et notre rôle est de les conseiller dans un esprit plus générique. Il faut rester conscient qu’ils ne seront pas les seuls utilisateurs et que le bâtiment aura plusieurs vies.”. À cela, Reda ajoute : “quand un concours est public, le programme va traduire les attentes des utilisateurs et, par la suite, on ajustera avec eux. On est là pour trouver un équilibre.”
L’objectif : des salles modulables offrant un principe simple
Baptiste évoque la volonté presque excessive de faire du modulable au cours des années 60 et 70, avec des gradins démontables par exemple. Le problème qui se pose aujourd’hui est celui de la complexité d’utilisation de ces salles trop modulables : “c’est finalement trop compliqué et cela demande beaucoup de moyens humains, alors les salles restent dans la même configuration toute l’année”.
Chez dUCKS scéno, la réflexion se fait autour de la manière de moduler tout en gardant un principe simple pour les utilisateurs, notamment pour ceux qui n’ont pas les équipes disponibles pour effectuer les changements de configuration. “Ainsi, sur certains projets, on a trouvé des solutions pour avoir des salles adaptables facilement, même s’il n’y a sur place qu’une seule personne pour s’en charger. On peut proposer une tribune télescopique par exemple. Cela permet un nombre d’usage important tout en permettant aux danseurs et chorégraphes de s’approprier l’espace.”
“Il faut réussir à recréer de l’émergence dans cette nouvelle danse française”
L’échange se termine enfin par leur sentiment respectif quant à l’évolution de la scénographie dans le domaine de la danse. Baptiste commence en évoquant : “Il y a quelques années, quand j’ai commencé à tourner avec ma compagnie, je me suis rendu compte que les lieux étaient en mauvais état, peu réhabilités, et cela quel que soit le niveau : Centre National de la Danse (CND), Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) ou Centres de Développement Chorégraphique Nationaux (CDCN). Il y a de vrais enjeux d’innovation et les réponses institutionnelles ne sont pas adaptées. Il faut réussir à recréer de l’élan dans cette nouvelle danse française, à laquelle on donne moins de moyens que dans d’autres pays. Le résultat de ce manque de moyens, c’est l’émergence de salles de créations privées, ce qui est dommage.”
“Il y a un gros travail à faire sur le volet culturel”
À son tour, Reda évoque : “De nombreux projets amateurs voient le jour en France, soutenus par les institutions”. La question se pose : comment accueillir ces groupes amateurs, de grande ampleur et avec beaucoup de participants ? Baptiste confirme et cite l’exemple de Kadamati, de Akram Khan, un projet d’envergure durant lequel 700 danseurs, dont 3 employés de dUCKS scéno, ont dansé sur le parvis de l’hôtel de ville à Paris pour commémorer le centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale. “Ce fut un grand désordre car aucune salle de répétition permettant d’accueillir tous les participants simultanément n’a été mise à disposition pendant la période de création. Notre rôle serait de dire : si l’on souhaite développer ce type de projets en France, comme on le dit, il faut commencer par permettre la création de salles plus grandes, ouvrir des lieux adaptés. Il y a un gros travail à faire sur le volet culturel de la part de la politique publique culturelle, mais il faut se donner les moyens de le faire bien.”
En résumé, la scénographie dans le domaine de la danse, comme tout autre domaine artistique, représente un équilibre subtil entre créativité, technicité et contraintes architecturales. Les témoignages de Baptiste Karoubi et Reda Boulaarab illustrent l’importance de cette harmonie, mais aussi l’importance de la politique publique culturelle, pour offrir des espaces adaptés à l’évolution des pratiques artistiques.